Evocation de la mort de Kiki

Tiré de la lettre du 23 juillet 1965

Kiki a commencé à tomber malade vers la mi juin, atteint d’un exéma à la poitrine.

Mené chez le vétérinaire, je lui administrais des gouttes et saupoudrais la partie malade avec une poudre spéciale. Mais sans résultat. La plaie ne faisait que s’envenimer et s’élargir et devenait sanguinolente. D’autres visites chez le vétérinaire n’amenèrent rien.

Alors cette pauvre bête, pendant plus de 15 jours, s’enfonça dans tous les recoins de l’appartement, complètement prostrée, la tête appuyée contre le mur et ne bougeant plus. Il ne mangeait plus et ne buvait plus.

Il maigrissait d’une façon effrayante et ne pouvait même plus tenir debout sur ses pattes. Quand je le caressais, il avait encore la force de ronronner.

Il baissait donc à vue d’œil. Quand dans la nuit du 8 juin, j’entendis à 2h du matin comme un rampement dans ma chambre (où il n’avait plus mis les pieds depuis 15 jours) et alors il poussa deux plaintes qui n’étaient pas un miaulement mais une sorte de cri de détresse.

Je fis la lumière et je le vis qui s’avançait en trébuchant vers mon lit où il couchait d’habitude. N’ayant plus la force de grimper, je le hissais et il remonta du bas du lit vers moi qui était couché et vint enfoncer sa pauvre petite tête au creux de mon bras et de mon épaule. Et il ne bougea plus de cette position.

Je compris qu’il sentait sa fin prochaine et qu’il voulait mourir entre mes bras. Je le caressais sans arrêt pour essayer d’atténuer ses souffrances, car il poussait des plaintes successives et son corps était plein de soubresauts.

A un moment donné, il m’a regardé avec de grosses larmes dans les yeux comme pour me faire comprendre son agonie (je n’avais jamais vu de chat pleurer). Devant ce spectacle, j’ai éclaté en sanglots et nous avons continué à pleurer tous deux face à face.

Enfin, au bout de 7 heures d’agonie dans cette nuit de cauchemar, c.à.d à 9 heures du matin, je sentis qu’il ne bougeait plus. Il avait en effet la gueule grande ouverte. Il était mort.

Mais alors, ce qui m’a frappé d’une émotion indicible, c’est que ses yeux, qui étaient restés grands ouverts, avaient complètement changé. Ils étaient clairs et verts d’habitude (il avait un regard humain diriez vous) et là, ils étaient entièrement noirs dans leur fixité comme si la prunelle s’était dilatée pour recouvrir l’œil entier.

Et je contemplais ce regard hallucinant et fait de ténèbres qui semblait venir de l'[?] et des profondeurs de la mort. J’étais bouleversé littéralement et je n’oublierai jamais cette vision qui me broyait le cœur.

Laisser un commentaire