Concorès le 2 aout 1962

Ma chère petite Suzanne

Que devez-vous penser de moi ? Surement pas grand bien et, en somme, les apparences vous donneront raison. En effet, vous remercier à cette date du magnifique cadeau que vous m’aviez envoyé pour ma fête, c’est proprement une honte ! Et tous les jours qui s’écoulent depuis la date de votre envoi ne faisaient qu’ajouter à mes remords et à ma confusion.

Je dois vous dire que j’ai passé un mois de juillet très déficient au point de vue santé. J’étais vraiment à bout de forces et j’aurai dû venir plus tôt me reposer à la campagne. Mais je me trouvais précisément en discussion de règlement avec ma Chambre Syndicale, à laquelle je n’appartiens plus depuis le 1er juillet, ma mise à la retraite datant de ce jour-là. Toutes ces discussions furent pour moi très compliquées et j’attendais leur résultat pour partir et essayer de me remettre un peu dans la paix des champs.

J’attendais donc de connaitre la date de mon départ pour vous écrire et vous faire savoir où je me trouvais. Mais la conclusion rebondissait de jour en jour et ainsi, en m’attardant malgré moi dans la capitale, ma correspondance se trouvait en quelque sorte suspendue. Et une fois de plus, ma pauvre (… non ! je retire ce mot que vous n’aimez pas appliqué à vous)… ma chère Suzanne, donc, vous avez été victime des circonstances qui compliquent ma vie.

J’en ai été d’autant plus navré que j’ai apprécié, comme il se doit, le splendide coffret de cristal rempli de bonbons dont vous m’avez gratifié pour la St Henri. J’ai bien reconnu, dans votre choix, le gout artistique et exquis qui vous est habituel. Vous m’avez comblé et je suis confus que vous fassiez pour moi de pareilles dépenses, aussi je mêlerai à mes remerciements une sévère gronderie. Je vous dis toujours de ne plus recommencer, mais vous ne tenez pas compte de mes défenses et vous récidivez constamment !

Je vous ai adressé un petit bijou, qui est un travail d’orfèvrerie indo-chinois et que j’ai trouvé chez ma défunte cousine. Il avait été rapporté d’Extrême-Orient par mon cousin qui était colonel là-bas. Il m’a paru que ce bracelet ne pouvait mieux faire que de finir sa destinée autour de votre poignet.

Je pense que vous avez commencé vos vacances dans un site agréable et que ma lettre vous y rejoindra, après un crochet à Nice, puisque je ne sais pas où vous vous trouvez.

Reposez-vous bien. Vous en avez tant besoin. Il est bien regrettable que votre Maison n’ait pas cru devoir vous octroyer 2 mois comme vous le désiriez.

De mon côté, je vais essayer de récupérer, car je suis arrivé ici absolument fourbu et harassé. J’ai bien besoin de remonter la pente, car je me sens au bout du rouleau, comme on dit. Et j’ai toujours peur de partir, plus ou moins clandestinement, vers l’inconnu d’au-delà la vie terrestre.

Je vous quitte, ma chère petite Suzanne, en vous souhaitant, ainsi qu’à votre maman, de bonnes et reposantes vacances.

A vous lire bientôt et en attendant je vous embrasse de tout cœur.

Henry

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