Paris le 22 décembre 1961

Ma chère petite Suzanne

J’ai été véritablement confus – et je voudrai trouver un mot plus fort pour vous exprimer ma pensée – quand j’ai reçu votre magnifique envoi de ces délicieux chocolats. Vraiment vous me gâtez par trop et cela me gêne infiniment que vous ayez fait une telle dépense pour me manifester une fois de plus votre tendre amitié. Je vous en remercie de tout mon cœur.

Vous me parlez de ma santé, chère Suzanne. Il faut avouer qu’elle n’est guère brillante et je me fais l’effet d’une vieille carcasse qui se disloque. En effet, depuis des mois, je souffre toujours de douleurs cardiaques qui se manifestent par une sorte de poids pesant sur ma poitrine et cela surtout la nuit, ce qui a pour effet d’entraver mon sommeil et de me laisser dans un état de grande fatigue.

Mais comme si ce désagrément n’était pas suffisant, j’ai dû faire face à une nouvelle complication, ce qui fait que depuis le début de ce mois, je suis en arrêt de travail pour une période de plusieurs semaines qui se prolongera sans doute jusque dans le courant de janvier. Cette fois, c’est ma vue qui est en cause. Je dois cesser toute lecture toute fatigue des yeux. Ceux-ci, en effet, pleurent sans arrêt et me font très mal. Je vais régulièrement chez un oculiste qui, au début, m’a débouché les deux canaux lacrymaux en m’enfonçant une aiguille dans chaque œil et je vous assure que ce petit exercice est singulièrement douloureux pour le patient. Six fois par jour, je me fais mettre des gouttes dans les yeux. Enfin cela va un peu mieux. J’espère que sans trop tarder cette nouvelle épreuve touchera à sa fin.

Tout cela réuni fait que je n’ai pu répondre comme je voulais le faire à votre dernière et si gentille lettre. Et je ne le ferai pas encore cette fois-ci (ce dont je m’excuse profondément), mais si je vais mieux, je vous écrirai plus longuement la semaine prochaine.

J’ai tenu, en tout cas, à vous remercier sans plus tarder de vos bons vœux qui m’ont fait grand plaisir. Je vous adresse les miens les plus affectueux pour vous et votre maman, en vous souhaitant à toutes deux la meilleure santé possible, car je me rends compte que cela est très important dans l’existence. Permettez-moi de vous adresser ce petit mandat pour vous offrir, en mon nom, ce qui pourra vous faire plaisir.

Je vous embrasse, ma chère petite Suzanne, de tout mon cœur.

Henry

P.S. J’ai dégusté avec plaisir le petit opuscule consacré à « Nice la belle » que vous m’avez envoyé. Mais quel supplice de Tantale vous m’avez infligé !

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