Paris le 28 mars 1965

Ma chère petite Suzanne

J’ai été bien content de vous lire, mais votre lettre est venue ajouter à ma confusion du fait que je suis resté si longtemps sans vous écrire. Veuillez bien me le pardonner, je vous prie, mais je dois vous dire que, depuis ma sortie de clinique, mon état de santé a été fort déficient et que j’attendais d’aller mieux pour vous donner de mes nouvelles.

En effet, non seulement j’ai continué à subir les suites de mon opération (c’est à dire : affaiblissement général, perte de plusieurs kilogs que je ne suis pas arrivé à rattraper) puis j’ai subi, comme beaucoup de personnes actuellement, une forte grippe qui m’a immobilisé plusieurs semaines, et enfin à laquelle a succédé une crise de sinusite me causant des douleurs de tête fort violentes.

Vous voyez, chère Suzanne, que j’ai été particulièrement mal partagé ! Tous ces maux se produisant en vagues successives me découragèrent d’écrire. Il ne fait vraiment pas bon vieillir. Je m’en aperçois de plus en plus. Il y a de quoi se démoraliser.

Je me demandais souvent comment vous passez ce long et glacial hiver, vous si « délicate » ! dans tous les sens du mot, au propre comme au figuré. D’après votre lettre, je vois avec plaisir que vous allez bien, mais que vous avez toujours beaucoup de travail dans votre secrétariat.

A propos de vos occupations, il y a une question que je tenais à vous poser depuis longtemps : est-ce que la Société qui vous emploie vous applique bien les lois sociales, c’est à dire que vous êtes régulièrement déclarée aux Services de la Sécurité Sociale ? Ceci est très important, d’abord en cas de maladie ou de suppression d’emploi et également plus tard pour réserver vos droits de retraite. Pour ma part, je n’ai pas toujours été assez vigilant sur ces questions, ce dont je subis maintenant les conséquences.

Je suis heureux que vous preniez un peu de délassement le soir devant votre écran. Je me contente de mon petit poste de T.S.F. Mais comme vous, je ne suis pas toujours satisfait des émissions qui souvent me rebutent. En particulier, je fuis comme la peste toutes les tartines interminables sur le sport dont on nous abreuve constamment. De même, je me sens excédé par les répétitions continuelles des mêmes chansons qui, à l’heure actuelle, ont une tournure vraiment enfantine et sans consistance, particulièrement celles interprétées par de jeunes personnes, produits de la nouvelles vague. On croirait assister à des réunions de familles où l’on écoute bouche bée les chansonnettes de la =jeune progéniture. Nous vivons vraiment à une époque caractérisée par la manie de donner toute son attention à ce qui vient d’éclore et cela jusqu’à la satiété, en feignant de considérer comme inexistant ou sans intérêt tout ce qui a été produit auparavant, même au cours des années récentes, et qui surpasse généralement ce qu’on nous offre maintenant au jour le jour.

Aujourd’hui, dimanche 28 mars, nous goutons enfin, ici, la température tiède dont nous étions privés depuis si longtemps. J’espère que les prochains mois viendront nous dédommager de ce rude hiver.

Je compte toujours – bien entendu si mon état de santé me le permet – venir faire une escapade jusqu’à vous (en mai ou juin probablement) de façon à être à Nice un samedi ou un dimanche, jours où vous êtes libre.

Je vous quitte, chère Suzanne, en vous embrassant tendrement. Amitiés à votre maman.

Henry

Les commentaires sont fermés.