Le 27 juin 1967

Chère Mademoiselle,

Ce matin j’ai trouvé votre deuxième message, écrit à la machine, à mon adresse postale. Vos paroles me touchent, chère Mademoiselle ; mais croyez bien que je n’avais pas besoin d’elles pour penser à vous. Oui, je me reprochais chaque jour de n’avoir pas encore répondu pas le moindre mot à votre aimable lettre « bleue » du 23 mai. Comment m’expliquer à moi-même ce silence. Laissez-loi par cette occasion vous exprimer mes remerciements sincères d’avoir pensé à moi.

Après avoir lu et relu votre lettre – l’esprit tout frais – j’ai cru trouver dans vos lignes une certaine méfiance envers moi (n’y voyez pas le moindre reproche surtout !) et vous me demandez de créer « ce climat de confiance qui vous est nécessaire avant tout« .

Je vous ai déjà dit que je me trouve en tournée d’inspection pour mon entreprise – société civile. Je suis tantôt à Montpellier ou Marseille, tantôt à Toulouse ou Tarbes. Quelle adresse vous donner ? Si vous répondez à cette lettre, je vous enverrai par retour ma photo – même si vous jugez bon, sans contrepartie. Comme vous pouvez constater, j’ai entièrement confiance en vous.

Je ne suis pas un aventurier, chère Mademoiselle. Ma vie est sans histoire et si je suis encore célibataire, c’est après une cruelle déception dans ma vie que je le suis resté.

J’ai pris, après la mort de mon père, l’affaire en mains, j’avoue : sans enthousiasme. Un grand sentimental ne peut se plier aux nécessités de la vie… il restera le grand vaincu !

C’est ainsi que je me trouvais plus désorienté que jamais. Je ne sais si vous connaissez cette anxiété particulière d’une vie tout à coup sans objet. Le désert sans espoir à l’horizon, sans mirage d’aucune sorte. C’est de cette vie stérilisante que j’ai pris à cœur de m’arracher et je vous ai… écrit !

Étant, matériellement parlé, totalement désintéressé sur ce point, deux choses m’ont attiré dans votre annonce : ce « grand attachement » et la « valeur morale » – le « très bien physiquement » est vraiment charmant et je dirais : merveille ! Car le tout ferait les délices de mon automne ! En tant qu’artiste, je ne reste pas insensible devant la beauté des formes féminines, d’autant plus qu’elles sont en quelque sorte « l’extériorisation de la beauté intérieure » – chez vous.

Est-ce cela ? Votre écriture me parle de force artistique débordante. Êtes-vous secrétaire ? Collaboratrice d’art d’une revue ?

Votre nom sonne allemand. Êtes-vous Alsacienne ? La nationalité, la langue, n’a pour moi aucune importance. J’aime R.M. Rilke à côté de Rodin – expressions identiques, l’une par la poésie, l’autre par la forme… sans prétention : je forme les deux —

Je sais donc que vous êtes blonde – 1m65 – mince (heureusement ! je déteste certaines obésités de Maillol) vous aimez les voyages – la maison – le désir du bonheur brule en vous – ô quel reflet de moi-même !

Vous ne me refuserez pas les renseignements que je vous demande, chère Mademoiselle. Si vous deviez cependant en décider autrement, je m’incline – tout en vous souhaitant ce que je souhaite à moi-même.

Pensées…

Louis B.

P.S. Chère Mademoiselle, si vous êtes en mesure de me répondre par retour, je me réjouirais ; car je dois partir pour Andorre prochainement, d’où je me ferai un plaisir à vous adresser quelques cartes. D’accord ?

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