Paris le 29 décembre 1949

Ma chère Suzanne
Je vous adresse tous mes vœux les plus affectueux de nouvel an. Mais je ne sais plus trop ce que je dois ajouter. Qu’écrire en effet à quelqu’un qui ne vous répond même plus ? Il me semble que toutes mes phrases tomberaient dans le vide, s’il n’y a en face ni une oreille pour les entendre, ni une voix pour leur faire écho.

Et puisque tout dialogue est coupé de vous à moi, c’est avec moi-même que je m’entretiendrai et que je me souhaiterai au cours de 1950 de vous lire quand même et aussi de vous voir, alors que je pensais que ma lettre de la fin octobre, disant que vous pourriez venir dès que vous voudriez, aurait suscité votre arrivée rapide.
Il n’en a rien été et comme je l’explique à votre maman, je demeure dans la plus complète incompréhension d’un mutisme qui me déconcerte.
Je vous quitte, ma chère Suzanne, bien attristé de votre résolution si imprévue.
Henry
Madame,
J’attendais avec impatience la fin de l’année, d’abord pour vous adresser mes vœux, mais aussi pour avoir un motif de vous écrire.
Je me hâte donc d’en profiter pour vous dire combien je demeure abasourdi du silence total qui règne à Nice en ce qui me concerne.
Quand vous m’avez écrit votre lettre du 22 octobre, que j’ai lue avec émotion comme toutes celles qui émanent de vous, j’ai ajouté un post scriptum à une lettre que j’adressais à Suzanne et qui n’était pas encore postée quand la vôtre est arrivée. Dans ce post scriptum, je faisais remarquer que ma lettre à Suzanne répondait précisément par avance à toutes vos questions et d’une manière positive d’ailleurs.
J’ai attendu pour vous répondre directement que la réfection et le retapissage de ma chambre soient effectués, car la présence des peintres en même temps que vous n’était guère possible.
Quand ce travail a été terminé, c’est à dire vers le 8 ou 10 novembre, je vous ai alors répondu longuement non seulement au sujet de l’appartement (que je mettais à votre disposition, bien entendu à titre gracieux) mais aussi en m’entretenant avec vous en toute sincérité des questions qui ont pu, au cours des longs mois écoulés, projeter entre Suzanne et moi de l’ombre, parce que je lui paraissais devenir plus lointain. Hélas, les évènements jouaient contre moi, mais rien n’était changé en mon âme. Je vous faisais d’ailleurs juge.
Ma lettre n’avait, je pense, rien de répréhensible et qui puisse motiver ce qui s’est passé depuis… c’est à dire que je n’ai plus reçu aucune nouvelle de Nice, ni l’annonce de votre arrivée, ni aucune explication.
J’avoue ne plus rien comprendre. Si vous aviez projeté de reculer votre venue, alors que vous me disiez être pressée de vous installer ici, il me semble que vous m’en auriez informé.
Suzanne non plus n’a pas répondu à ma lettre. C’est la première fois que cela se produit de sa part.
Ces deux silences réunis me stupéfient et c’est dans un sentiment indéfinissable que je vous adresse, Madame, mes vœux affectueux, que j’accompagne d’un immense point d’interrogation.
Henry G.