Paris le 4 janvier 1950

Ma pauvre chère petite Suzanne

J’ai été atterré en recevant votre lettre. J’étais loin de m’imaginer le motif de votre silence et j’aurai préféré n’importe quelle autre raison que celle qui existe. Si j’avais eu les moyens matériels de le faire, c’est moi qui serais parti à la place de ma lettre pour être à vos côtés et vous réconforter de ma tendresse. Je ne puis être présent près de vous que par la pensée hélas et je me sens comme Eugénie de Guérin qui, dans son Journal à propos de son frère malade, écrivait : « Être dans une chambre à côté de la sienne, comme ici, pour l’entendre respirer, dormir, tousser. Oh tout cela je l’entends, mais à travers deux cents lieues. Oh ! distances, distances !« . Tous ces sentiments, je les vis intensément.

Quel supplice d’être condamné à l’impuissance ! Comme le triste sort nous poursuit pour tout empêcher ou tout au moins tout retarder de ce que nous projetions.

Dès votre lettre reçue, je me suis précipité sur un dictionnaire de médecine pour voir ce que c’était au juste qu’une pleurésie – étant bien profane en ces matières – et j’ai vu qu’il y en avait de plusieurs sortes, les unes plus graves que les autres. Fasse le ciel que vous soyez épargnée du pire, mais depuis si longtemps que vous êtes alitée, j’ai peur que votre cas ne soit sérieux et vous laisse très fragile pendant longtemps.

Dans quelles transes votre pauvre maman a-t-elle dû passer ? Je frémis en songeant que vous auriez pu tomber malade ici où vous auriez été quand même beaucoup moins à même de vous soigner que chez vous à Nice.

Ne cessant de penser à vous depuis que je suis au courant, je me dis qu’il est bien évident qu’à la suite de cette maladie vous ne pourrez songer d’ici longtemps, ou peut-être jamais, à prendre une occupation, car vous allez rester délicate et sujette à beaucoup de soins. Il faudra venir aux beaux jours avec votre maman en convalescence à Concorès. Enfin, nous en reparlerons d’ici là. Je voudrais être tenu au courant de votre état, savoir si vous vous rétablissez progressivement, si la maladie est enfin terrassée.

Je pense aussi que vous devez être, plus encore après tous les soins que nécessite votre état, en grandes difficultés matérielles. Je suis malheureusement impuissant à vous secourir, traversant moi aussi une dure passe. Vous devez bien d’ailleurs deviner, me connaissant je pense suffisamment, que si vous ne recevez rien de moi, c’est que vraiment je me trouve dans l’impossibilité de le faire.

Mais je veux quand même essayer de tenter l’impossible. Je vais partir samedi pour Concorès et m’efforcer de trouver sur place à emprunter sur ma propriété, si je puis y parvenir ; mais je sais que c’est très difficile en ce moment ; je pourrai alors, en cas de nécessité, vous épauler dans l’impasse si dure que vous traversez. Je vous tiendrai au courant de mes démarches et croyez bien que je ferai l’impossible pour arriver à un résultat.

Je ne veux pas vous quitter sans répondre à un point de votre lettre où vous faites allusion à ma lettre de fin octobre dont des passages, me dites-vous, « ont fait par trop de peine« . J’ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne vois pas ce que j’ai pu vous écrire qui puisse être interprété par vous d’une telle manière. Croyez bien qu’il n’était nullement dans mon intention de vous faire de la peine et je me demande encore comment cela a pu se produire. Vous avez certainement mal interprété. En tout cas, je vous en demande bien vivement pardon si, sans le vouloir, j’ai pu vous blesser. Vous savez bien que je n’ai pour vous que tendresse et que vous êtes injuste quand vous me prêtez des sentiments différents.

Je vous embrasse de tout mon cœur, ma pauvre chérie.

Henry

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