Paris le 19 décembre 1956
Ma chère Suzanne
J’ai été bien attristé pour vous en apprenant le deuil qui vous frappait. J’aurai voulu vous écrire sur le champ mais hélas ! je n’étais pas en état de le faire et depuis j’ai encore été poursuivi par la malchance, ce qui a encore prolongé mon silence.
Quand j’ai reçu votre lettre du 29 sept., j’étais assez gravement malade, atteint d’une congestion pulmonaire dont mon voyage au Mt St Michel fut probablement la cause. J’ai été long à me remettre, puis je suis ensuite tombé de Charybde en Scylla ayant subi, à la suite de ma convalescence, une forte sinusite.
On me parlait de me trépaner, c’est à dire de m’ouvrir le crâne pour assainir les canaux du nez enflammés et qui se ramifient sur le front. Je souffrais tellement de la tête que j’avais envie de la cogner contre les murs.
Vous voyez combien j’ai traversé une triste période, de sorte que 1956 n’a pas été pour moi plus favorable que 1955, année de mon accident.
J’espère que j’ai au moins épuisé ma part de déboires et que je vais être au moins tranquille pendant un certain temps après toutes ces tribulations.
Pour en revenir à votre père, chère Suzanne, je me demande quels peuvent avoir été vos sentiments en la circonstance, puisqu’il était en somme mort pour vous, moralement s’entend, depuis longtemps. Son attitude envers votre maman et vous-même est véritablement inexplicable et me parait relever de la psychiatrie. Bien des êtres en vieillissant se métamorphosent d’une manière étrange et leur comportement devient déraisonnable. Ils sont la proie de véritables mystères de la nature humaine, mais ce n’est pas gai pour leur entourage.
Enfin, il ne relève plus maintenant que de la justice de Dieu, si toutefois il y a une justice divine comme on s’efforce de l’espérer.
J’espère que vous allez bien, ma chère Suzanne et que vous passez un bon hiver.
Je suis heureux d’avoir repris contact avec vous et j’ajoute que vous recevrez désormais une correspondance plus suivie de moi.
Moi aussi j’aimerais bien vous revoir, comme vous devez le penser.
Dans une prochaine lettre, je répondrai à certains points que contenait celle que vous m’avez écrite à Concorès.
En attendant, je vous quitte en vous embrassant bien affectueusement, chère Suzanne.
Henry