Paris dimanche 13 octobre 1957
Ma chère petite Suzanne
Je comprends aisément votre irritation à mon égard, qui s’est traduite par une bonne volée de bois vert. Vous êtes ultra sensible, chère Suzanne, et vous dramatisez volontiers. Rappelez-vous que lorsque vous êtes venue à Paris chez l’industriel, c’est seulement après quelques semaines de séjour que vous m’avez fait signe et je ne vous en ai pas témoigné d’acrimonie.
Oui certes, j’aurais dû vous écrire durant ce mois de septembre et venir vous joindre dans le lieu de vos vacances. Mais si vous saviez comme j’ai été harassé de travail, qui avait simplement doublé , car j’ai dû reprendre en septembre toutes les publications précédentes du mois d’aout – et de plus le fait que nous approchons du Salon de l’Automobile (vous savez que c’est dans cette branche que j’ai mes occupations) augmentait mon labeur dans de fortes proportions ; c’est en effet la période de l’année où je suis le plus surchargé.
Pour comble, lorsque m’est parvenue votre lettre du 9 oct., je gardais la chambre, étant moi aussi grippé et assez mal en point. J’ai donc eu recours au télégraphe pour vous assurer que mes dispositions n’étaient pas changées, comme vous sembliez en émettre l’hypothèse.
Pourquoi écrivez-vous une telle phrase : « Je ne vous cache pas que votre silence détruit en partie le plaisir que je me faisais« . Et vous ajoutez : « Il est des choses qui se préparent…« .
Écartons, voulez-vous, ces pensées et ces papillons noirs qui voltigent autour de votre esprit tourmenté et revenons-en aux choses simples de la vie, qu’il est bien inutile de compliquer.
Donc, il était convenu que vous viendriez, comme vous me l’avez fixé, « fin octobre – début de novembre« . Ma dépêche vous le confirme et croyez bien que pour éprouver la grande joie de passer quelques temps avec vous, je n’ai pas besoin d’une préparation épistolaire préliminaire. Ce que nous pouvons nous dire, point n’est besoin, me semble-t-il, de le façonner à l’avance par la plume, puisque nous aurons sous peu le plaisir de nous entretenir directement.
Pour en revenir à l’immédiat, je vous adresse, chère Suzanne, le billet ci-joint pour vos frais de chemin de fer. Prévenez-moi de votre arrivée, je vous prie, quelques jours à l’avance, afin que je puisse retenir pour vous une chambre en temps voulu, car mon appartement exigu ne permet pas, comme vous devez je pense le supposer, de coucher sous le même toit.
De préférence, n’arrivez pas un lundi ou un mardi, jours où je suis pris à mon bureau toute la journée.
Maintenant, je n’attends plus qu’une lettre de vous me fixant votre arrivée et, en attendant de le faire réellement, je vous embrasse, ma chère Suzanne, bien affectueusement.
Henry