Concorès 5 juillet 1940

Mon amie, je ne sais si ma plume aura la force et le courage de vous écrire cette dernière lettre. Il me faut cependant vous quitter, vous faire mes adieux et vous devez comprendre à quel point je dois faire appel à mon énergie, à ma volonté pour m’entretenir encore une fois avec celle par qui j’ai connu de si profondes émotions et qui, de sa jolie main, vient de tordre et de broyer mon cœur entre ses doigts.
Mais de ceci, croyez bien surtout que je ne vous en veux nullement, ce qui serait absurde et injuste de ma part. Si notre rêve mutuel a été abattu en plein essor, nous n’en sommes responsables ni l’un ni l’autre, nous ne sommes que des victimes foudroyées ; nous ne devons donc pas garder l’un pour l’autre de ressentiment, mais du regret et de la compassion ; plaignons-nous seulement et conservons de notre aventure qui partait trop belle pour qu’elle ne se brise pas, une amitié qui nous aidera à nous guérir du mal que nous nous sommes fait sans le vouloir.
Si cette lettre est la dernière que je vous adresse, c’est parce que je pense bien que vous devez avoir hâte de m’oublier puisque de mon côté « les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs » ; c’est parce que j’imagine que l’évocation de ma personne ne peut que vous être douloureuse, depuis qu’elle n’est devenue pour vous qu’une cruelle déception ; c’est parce que dans de telles conjonctures, vous ne pouvez avoir qu’un désir, celui de couper au plus vite les ponts entre nous deux, de débarrasser votre pensée de tous les vestiges de mon souvenir, afin de pouvoir garder l’esprit libre pour l’orienter vers d’autres horizons. Et prenant les devants, je veux vous éviter ainsi l’ennui de me réclamer mon silence. Certes, ce n’est pas sans un grand serrement de cœur que je me résous à ce sacrifice, car vos lettres étaient devenues inséparables de ma vie ; car vous étiez, mon amie, devenue ma nécessité et mon enchantement. Ne plus voir, ne plus lire votre chère écriture, il me semble que ce sera pour moi un supplice auquel il me faut pourtant me résigner.
Je m’excuse de vous répondre si tardivement, mais votre lettre m’avait plongé dans un tel désarroi, avait créé en moi un vide si affreux, que je n’arrivais pas à ressaisir mes esprits, à concevoir même ou à formuler une pensée traduisant mon état d’âme.
Je sais bien cependant que toute joie comporte sa rançon, que tout bonheur porte en lui son revers et sa force de désagrégation. J’ai assez d’expérience de la vie pour savoir qu’elle est fantasque, capricieuse, décevante ; comme un phare tournant, elle jette alternativement des feux ou des amas d’ombre ; elle se présente parfois comme une femme ensorcelante qui accourt au devant de vous, légère et bondissante telle une Andalouse les pieds ivres de danse et les lèvres en feu ; mais à peine veut-on étreindre ce mirage qu’il s’efface soudain laissant place à une autre personnification, sombre celle-ci, de la Vie : à la déesse crépusculaire de la Mélancolie qui laisse tomber à flots la tristesse infinie de ses yeux nocturnes.
Ainsi tous les parfums, tous les chants, toute la griserie, toutes les tendresses printanières qui tourbillonnaient en moi et me soulevaient, se sont évanouis sous la morsure d’une petite bise aigre qui glace jusque dans les profondeurs. Ainsi se trouve-t-on tour à tour diversement ému devant les heures contradictoires et comme ennemies les unes des autres, qui viennent composer les pages alternées du destin.
Ma pauvre amie, vous devez vous aussi éprouver les mêmes sensations, le même découragement. Je vous prie de me pardonner d’avoir été pour vous la cause d’un grand enthousiasme, suivi de la plus amère déconvenue. Oui, j’avais bien conscience de ne tenir à vous que par un fil, le fil d’or de votre imagination et de vos rêves et il était fatal qu’il se rompit tôt ou tard. Cette appréhension, vous avez pu la sentir dans toutes mes lettres et particulièrement depuis que j’avais eu la révélation de votre beauté, car la disproportion entre nous était telle que, dès ce moment, j’aurais dû aussitôt m’efforcer de disparaitre.
Mais c’était si délicieux de s’envoler avec vous sur les ailes de la Chimère au pays des sortilèges et dans la paix du Nirvana. Ainsi donc alangui, envouté par vous, je m’abandonnais sans résistance à cette douceur, à cette plénitude de bonheur que vous sembliez partager ; je m’attardais voluptueusement dans les délices de Capoue comme si ce plaisir devait durer sans fin… et pour trouver une excuse, une justification à mon imprudence, je me rappelais que nous connaissions certains couples, cependant heureux, où la femme était infiniment mieux que le mari et aussi que, désirant mon mariage, ma mère m’avait fait connaitre des jeunes filles jolies qui quand même voulaient bien de moi (je n’avais d’ailleurs pas voulu donner suite pour la raison que je vous ai dite)… alors à tout hasard un vestige d’espoir s’accrochait encore en moi… Mais je comprends parfaitement votre désir si naturel de ne donner votre amour qu’à un homme dont le physique vous plaira entièrement. A votre place, j’agirais de même et mieux que personne vous avez le droit et le pouvoir de choisir.
Je ne suis nullement étonné de l’effet déplorable qu’a pu vous produire cette photo catastrophique où ma physionomie est empreinte d’une molle niaiserie ; j’aime à croire qu’au naturel elle reflète autre chose ; mais je me souviens que ce jour-là, qui remonte à plus de 10 ans, ma mère m’avait entrainé malgré moi chez le photographe, qu’on m’avait placé la tête dans un demi cercle de fer qu’on ne voit pas sur l’image et qu’après tous ces préparatifs, on m’avait dit de « prendre un air naturel et de sourire » (c’est, je crois, la formule d’usage). Toute cette mise en scène a eu au contraire pour effet de provoquer l’air plutôt stupide ou ahuri qui a motivé votre désolation (vous devez bien penser que je ne porte plus depuis longtemps d’archaïque lorgnon, mais depuis au moins 7 ou 8 ans des lunettes d’écaille, tout comme… Sacha Guitry ou Buster Keaton).
Vous m’avez reproché l’envoi de cette photo ancienne (je n’en avais pas d’ailleurs de plus récente) qui est venue détruire le support de vos rêves ; mais tout en pressentant que votre élan pour moi buterait sur cet obstacle, j’ai cru sage d’agir ainsi même au prix de la souffrance mutuelle qui devait en naitre. Si en effet j’avais laissé indéfiniment votre imagination me modeler selon l’idéal que mes lettres et votre désir pouvaient vous inspirer, il me semble qu’il y aurait eu une sorte d’abus de confiance de ma part ; si nous avions continué à nous enraciner plus profondément l’un dans l’autre, ce réveil brutal qui s’est produit maintenant aurait été encore plus pénible dans x temps ; alors l’arrachement aurait été pour l’un et pour l’autre encore plus douloureux et vous m’en auriez voulu davantage, car je pense bien que malgré vous et sans vous l’avouer peut-être, vous devez conserver contre moi un sentiment de rancune pour avoir suscité un amour que vous avez été dans la pénible obligation de renier.
J’ai pris attentivement connaissance du type masculin répondant à votre idéal ainsi que de ses « caractéristiques indispensables », selon vous : aspect moderne… cheveux rejetés et lissés en arrière… l’expression énergique, cet air de force sur lequel une femme peut s’appuyer…
Peut-être ferais-je une légère réserve sur ce dernier point : l’appui réel dont une femme a surtout besoin et qu’elle doit souhaiter chez un homme n’est pas tellement la force physique (sauf en vue de cas bien particuliers, par exemple pour s’assurer une défense vigoureuse dans une attaque nocturne ; un « costaud » alors est d’un plus grand secours) ; je sais bien que celle-ci exerce un grand prestige sur la sensibilité féminine et « le butor » sera toujours recherché par « la finette », mais je crois surtout que c’est dans la force morale de l’homme, dans son caractère, son équilibre, son dévouement, ses facultés pensantes que la femme trouve le refuge le plus sûr et le mieux approprié pour abriter sa fragilité plus spirituelle encore que physique.
C’est dans ce sens, je pense, que Vigny comprenait le rôle de l’homme, quand s’adressant à la femme, il écrivait symboliquement : « Tu ne saurais marcher sans guide et sans appui« .
Dans l’ensemble, le type d’homme qui a votre prédilection n’est pas rare à rencontrer ; c’est même un modèle qui semble actuellement fabriqué en série, on en trouve partout ; les bars parisiens en sont remplis et je suis sûr qu’à Nice vous ne devez avoir que l’embarras du choix.
Vous m’avez écrit dernièrement que l’amour rend égoïste. C’est une remarque très juste et qui avait déjà été faite par nos moralistes français ; c’est, je crois, Chamfort ou bien Rivarol qui a donné cette définition savoureuse : « L’amour, c’est l’égoïsme en deux personnes« . Néanmoins, quand la qualité de l’amour qu’on porte à un être est assez grande et assez haute, on parvient à s’oublier soi-même pour ne plus désirer que le bonheur complet de l’autre, quand on ne peut l’assurer directement. Ne me croyez pas incapable d’avoir ce coup d’aile et soyez assurée que de tout mon cœur je souhaite d’apprendre un jour que vous avez trouvé celui qui vous rendra pleinement heureuse ; (pour vous qui à tous points de vue êtes si séduisante et si attachante, ce sera chose facile). Cette pensée amortira pour moi le choc que j’ai pu recevoir et j’y puiserai un dédommagement à mon chagrin. La seule grâce que je vous demande c’est, si une fois je viens dans vos parages, de pouvoir vous rencontrer ; ne craignez rien, ce sera un simple camarade qui vous abordera.
Pour moi, je ne sais ce que la destinée me réserve ; je suis incapable de faire des projets ; je me trouve à peu près dans l’état d’esprit et la situation de Charlie Chaplin à la fin de son film « Le Cirque » ; je ne sais si vous avez vu cette projection, en voici le dernier épisode : un beau matin, Chaplin se rendant comme chaque jour sur la petite place où est édifié le Cirque, le crique auquel est lié toute son existence et où il se meut à côté de la belle écuyère qu’il aime, s’aperçoit avec stupeur que le cirque est parti dans la nuit ; il ne reste plus sur la place que la trace de la piste qui comme un cercle magique emprisonne encore Chaplin accablé ; cependant, une route s’offre qui s’enfuit vers l’horizon et Chaplin bien las et somnambulique s’engage sur ce long ruban vers l’inconnu et le futur. Ne suis-je pas un peu comme lui en ce moment où j’ai la sensation d’être environné de solitude ; comme lui je voudrais partir au loin avec mon cœur, plus lourd et plus meurtri depuis qu’il a saigné par vous, vers la grand’route indéfinie et nostalgique, fredonnant pour bercer ma marche l’air des Saltimbanques :
« Descends de ton rêve orgueilleux
Reprends ta place
Tu feras mieux
Oui tu feras bien mieux
Mon pauv’ Paillasse »
H.G.
Ma lettre quoique achevée, je ne l’avais pas faite partir, hésitant encore à vous l’envoyer par crainte de vous importuner et me demandant même si vous consentiriez à la lire.
… hier soir, une fois couché, votre pensée m’assaillit avec tant de violence qu’il me semblait que des mains se crispaient à ma gorge et m’étouffaient. Je me suis levé alors pour échapper à cette torture et tandis qu’alentour le sommeil enveloppait les êtres et toute la nature, je sentais gémir en moi quelque chose d’inapaisé et d’inapaisable et pourtant j’ai cherché à pacifier mon cœur, à le dissoudre si possible dans les lointains infinis de l’espace ; et penché à la fenêtre de ma chambre, je me suis plongé dans l’immensité du ciel nocturne pour m’arracher à moi-même ; l’heure était si douce et si tranquille ; on entendait à peine les soupirs incertains du vent, quelques feuilles de peuplier frémissaient argentées de lune, le ruisseau proche poursuivait son éternelle fuite mais presque silencieusement comme s’il voulait masquer sa course pour ne pas altérer l’immortalité sereine de la terre endormie.
Plongeant alors mes regards vers la nuit étoilée, je me perdais, comme je fis souvent, dans tous ces archipels de lumière, dans ces myriades de constellations, de nébuleuses, dans la blanche trainée des voies lactées, et je pensais que depuis des éternités que l’humanité souffre et que les cœurs ici-bas subissent bien des tempêtes, les yeux douloureux se portent instinctivement sur ces astres lointains pour puiser dans leur fixité scintillante et glacée une sorte de terrassement à leurs tourments.
Et je me disais aussi que ces points d’or, ces perles de la nuit, ces petits vers luisants des cieux, sont agités eux-mêmes de formidables convulsions, qu’ils sont en incandescence, en fusion, qu’ils sont des tourbillons de flammes, qu’ils subissent bien des métamorphoses, mais qu’ils arrivent à nous ou plutôt sont perçus par nous, dépouillés de leurs agitations, purs et nets comme des pierres précieuses, froids et tranchants comme des diamants ; qu’ainsi nos sentiments, nos souffrances doivent se purifier de leurs tumultes, se fondre et se pacifier dans notre raison et notre renoncement comme les mondes flamboyants se tamisent dans le vide éthéré.
Telle est la leçon hautaine et triste que je puisais dans cette rêverie éperdue où partant de vous pour vous rejoindre, je m’attardais dans une contemplation de l’espace assez vaste et assez écrasante pour m’alléger du poids qui m’oppressait. Et ainsi j’ai pu revenir vers vous, non pas consolé mais presque détaché de moi-même, capable de penser à vous avec moins de souffrance et de vous imaginer, à cette heure tardive, endormie et paisible, insoucieuse de moi ; alors j’aurais voulu pouvoir décrocher toutes les constellations des cieux, les faire tomber sur vous ou dans vos rêves en pluie d’étoiles, pour qu’elles vous apportent, mêlé à elles, l’unique souvenir supportable que je vous demande de conserver de moi : mon âme seule, qui vous a tant aimée et ne vous oubliera plus !
Le 5/7/40
Ma lettre était toujours là, comme un train laissé en panne sur une voie de garage et n’ayant plus la force de repartir, quand j’ai reçu coup sur coup vos deux lettres qui ont été pour moi une vraie surprise, car je pensais bien ne plus avoir jamais le plaisir de vous lire. Plus surpris même je fus en constatant que vous paraissiez désirer recevoir encore des lettres de moi, alors que je croyais que vous aviez déjà fait un petit bucher de ma correspondance et réduit en cendres et en flammes, dans un autodafé purificateur, tout ce que j’avais pu vous écrire.
Très curieuses vos deux lettres arrivées presque ensemble et étonnamment contrastées, puisqu’on peut les désigner l’une et l’autre par des épithètes tout à fait opposées, par exemple : la blanche et la noire, la sombre et la brillante, celle frissonnante émanant de la nuée orageuse et celle radieuse surgie de l’azur éclatant. Comme elles portent bien l’une et l’autre la marque de votre sensibilité mobile et crépitante, bien féminine, puisque la femme mieux que l’homme est proche de la nature et que sa chair semble s’incorporer aux éléments, d’où sa nervosité, ses impulsions ou ses accablements, qui offrent pour l’homme un spectacle passionnant et sans cesse renouvelé.
Je vais y répondre rapidement et presque au galop pour ne pas charger démesurément cette lettre déjà infiniment longue et pour ne pas en retarder l’envoi.
Je comprends votre appréhension et votre désarroi devant l’ignorance où vous êtes du sort de vos bagages qui contiennent tout ce que vous avez de plus cher, tout ce que vous avez accumulé dans votre vie de souvenirs que vous aimez. Mais réfléchissez que dans les circonstances actuelles, il n’est pas surprenant que vous en soyez encore sans nouvelles ; il s’est produit dans le midi de la France un trafic de marchandises tellement formidable que les transports se trouvent embouteillés pour une longue durée. De plus, Bordeaux ayant été bombardé jusqu’à la signature de l’armistice, les colis n’ont pas dû y être dirigés tant que des destructions étaient possibles. Il semble bien qu’un délai d’au moins un mois soit nécessaire avant qu’ils arrivent à destination ; il convient donc de garder son calme et son sang-froid, si ce n’est pas trop difficile. Au cas où votre attente dépasserait cette limite, faites-le moi savoir ; je connais en effet quelqu’un qui a des aboutissants auprès du secrétaire général de la Sété Natle des Chemins de fer et par ce moyen il y aurait possibilité sans doute de faire opérer les recherches nécessaires.
Le livre de Plisnier « Meurtres » que vous avez lu, j’ai rôdé autour de lui avec angoisse, mais sans jamais oser l’ouvrir, sachant trop ce qu’il contenait et sa lecture aurait été pour moi d’une indicible souffrance ; vous comprendrez quand je vous aurais dit que la pauvre enfant que j’ai perdue et que j’aimais tant, est morte d’un cancer.
Vous me demandez ce que je fais à Concorès. Ma foi, rien de bien remarquable : je lis et je rêve, je m’isole dans les prés, les bois ou sur les hauteurs ; je suis plongé actuellement dans Balzac (il y a ici 4 bibliothèques et la pâture de l’esprit ne manque pas) et la lecture de « La Comédie Humaine » est passionnante.
Je subis aussi ce que mon beau-père appelle : les grandes épreuves. C’est à dire que quand je suis auprès d’elle, ma mère me bourre de fortifiants ou de remèdes, dont je n’ai d’ailleurs nul besoin. Mais comme cette fois-ci il y avait près de 2 ans que je n’avais pu prendre de vacances et que j’ai eu un travail très dur avec mon service des marchés de guerre, très chargé depuis septembre dernier, le régime de suralimentation m’est appliqué d’autorité, à mon grand ennui car je préfère manger sobrement (ces détails que je vous donne sont bien ridicules).
En ce qui concerne les perspectives de la reprise de la vie habituelle, je ne songe à rien pour le moment, puisqu’on se trouve coupé de toute source d’information utile ; il n’y a qu’à attendre placidement d’y voir un peu plus clair ; j’ai d’ailleurs assez bien la faculté de m’abstraire des contingences matérielles, à ce point de vue mon esprit est donc parfaitement au repos. Quand j’ai quitté Paris, la veille de l’entrée des allemands, nous nous étions tous dispersés à la Chambre Syndicale de l’Automobile et nous devions nous regrouper à Saumur ; mais comme l’avance ennemie a été aussi rapide que notre fuite et que toutes les villes de la Loire ont été occupées presqu’au moment où on aurait pu y parvenir, nous nous sommes tous trouvés éparpillés et sans contact les uns avec les autres. Quand le rapatriement à Paris sera effectif, alors il sera temps s’aviser. Actuellement, je me cantonne donc dans une existence contemplative ou méditative et Dieu sait s’il y a des motifs pour nous Français de faire un sérieux examen de conscience au milieu du malheur de la patrie.
Dites-moi, vous aussi, comment votre temps se passe à Nice, l’emploi habituel de vos journées, vos occupations préférées. Je ne connais pas du tout, à mon vif regret, la côte d’Azur ; j’allais plutôt vers les plages du Nord, goutant beaucoup les horizons gris et vaporeux plus nuancés que ceux du midi, les ciels nébuleux et la mer quand elle est glauque ou verdâtre.
C’est avec grande joie que j’apprends que vous vous disposez à vous installer à Paris pour la rentrée. Comme j’y serai surement à ce moment-là, disposez de moi pour tout service dont vous pourrez avoir besoin. Certainement la vie reprendra son cours normal, plus difficile sans doute qu’avant, mais enfin espérons que chacun pourra s’organiser au mieux. Quel concours comptez-vous passer ? Celui du Conservatoire sans doute auquel vous vous destinez.
Bravo ! pour la coquetterie. C’est un domaine où la femme développe son plus gracieux génie et par lequel elle se transforme en œuvre d’art vivante. Sur vos photos, j’avais bien remarqué d’ailleurs avec quelle perfection vous étiez habillée. Vos photos, je n’ai plus osé les regarder depuis 10 jours, un peu comme ces personnes qui, ayant eu des revers de fortune, ont été obligées de vendre leurs maisons et qui font un détour pour ne plus passer devant depuis que d’autres en sont devenus propriétaires, car moi aussi j’ai, comme vous, le sentiment de la possession et j’éprouve un malaise à considérer ce qui, après avoir été à moi, ne m’appartient plus.
Excusez, je vous prie, cet interminable bavardage et croyez, chère Amie, à mes bien sincères pensées.
H.G.