Paris le 4 janvier 1960

Ma chère petite Suzanne

Je suis dans la confusion la plus extrême, comme vous pouvez le croire, d’être aussi en retard avec vous. Que devez-vous penser de moi ? Vous avez le droit d’être sévère, mais vous ne sauriez croire à quel point mon temps a été haché depuis la mi-décembre.

Non seulement j’ai eu beaucoup de travail en fin d’année, ce qui est assez normal, mais surtout je viens de passer des semaines harassantes, du fait de ma vieille cousine, celle que vous avez vue à l’hôpital de Gourdon.

En effet, son cerveau a de nouveau déraillé et j’ai été prévenu par sa concierge qu’elle était partie de chez elle un matin à 6 heures, laissant toutes les lampes électriques de son appartement allumées et allée dans une direction inconnue. Elle croyait qu’on voulait l’assassiner. Ces terreurs lui arrivent périodiquement.

J’ai dû faire alors des recherches un peu partout, après avoir signalé sa disparition à la Police.

Après avoir été dans de nombreux établissements hospitaliers pour essayer de la dénicher, j’ai fini par la découvrir dans un endroit lointain à Neuilly s/Marne en Seine et Oise.

Ensuite, elle a été prise d’une congestion et transportée dans une clinique où j’allais la voir chaque jour, car on s’attendait au pire. Enfin maintenant elle va mieux.

C’est vous dire, chère Suzanne, combien cette fin d’année a été pour moi une période vraiment peu réjouissante. Vous comprendrez ainsi comment ma correspondance a pu être perturbée et pourquoi j’ai tant tardé à vous écrire et à vous adresser mes vœux.

Veuillez donc les recevoir avec indulgence et les partager avec votre maman.

Et maintenant, parlons un peu de vous. J’ai été bien affligé que les circonstances n’aient pu vous permettre de venir me faire à Paris, cet automne, la petite visite projetée et dont je me réjouissais tant.

J’espère bien qu’au printemps, vous pourrez vous rendre libre et que vous m’accorderez au moins trois ou quatre semaines de présence pour me dédommager de cette déconvenue. La période la plus favorable sera fin avril ou début de mai, qui constitue ce qu’on appelle la Grande Saison de Paris.

J’ai reçu samedi votre envoi charmant qui contenait cette jolie cravate et cette belle écharpe qui m’ont fait tant de plaisir et dont je vous remercie de tout cœur, mais confus que vous fassiez pour moi de telle dépense.

Je vous joins par ce mandat lettre mes petites étrennes, ne pouvant vous envoyer d’effet de toilette, n’ayant pas votre taille (qui doit être je pense du 42 ou du 44 ; faites-le moi savoir).

Je renouvelle bien entendu votre abonnement à « Arts ». J’ai cherché en vain cette année les petits flacons-dégustation de Cointreau.

Merci également pour votre photo que je contemple souvent avec grand agrément.

Je vous écrirai une autre lettre bientôt, ne voulant pas encore retarder celle-ci et je vous embrasse, chère Suzanne, de tout cœur.

Henry

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