Concorès le 1er octobre 1941

Chère grande amie

Encore une journée sans lettre de vous ! J’en ai le cœur glacé. J’ai l’impression d’être abandonné. Je vous ai cependant beaucoup écrit. Pourquoi alors ne me répondez-vous pas ? Êtes-vous souffrante ? J’espère bien que non.

Je viens de recevoir une lettre du Ministère de l’Intérieur que je vous transmets. Elle ne laisse malheureusement guère d’espoir et j’en suis navré. Je ne puis y répondre dans le sens indiqué puisque je n’ai pas les imprimés règlementaires ni de pièce justificative à l’appui.

Vous pourriez peut-être tenter la chose en adressant votre requête à M. R. C., chef du secrétariat etc., en lui indiquant que la date du 10 n’est pas inexorable car les examens d’admission durant jusqu’au 24 octobre (c’est ce que j’ai entendu hier à la Radio), vous pourriez peut-être avoir la chance de passer vers la fin. En tout cas, si vous obteniez l’autorisation même trop tardivement, celle-ci pourrait vous permettre de venir à Paris à un moment quelconque.

Ce voyage aurait l’avantage, comme je vous l’écrivais précédemment, de vous permettre d’arrêter vos dispositions définitives pour plus tard, de fixer votre orientation et de suivre des cours ou des leçons auprès d’artistes qualifiés afin de préparer l’examen d’admission, car sans préparation spéciale, m’a-t-on dit au Conservatoire, il parait un peu difficile d’affronter le jury.

Et si pour le moment rien n’aboutissait, me permettez-vous de faire moi-même directement auprès des autorités allemandes les démarches nécessaires pour vous faire obtenir le sauf conduit ?

Je sais que bien des gens franchissent la ligne de démarcation en fraude, mais je n’ose vous le conseiller ; cela inquièterait trop sans doute votre maman.

Comme je vous l’ai indiqué hier, je pourrai encore recevoir une lettre de vous expédiée au plus tard vendredi matin à l’adresse que je vous ai précisée à Souillac (H. G. chez Mr André B., Souillac, Lot).

Ce temps de vacances a passé bien vite. Tant de choses que j’aurais voulu vous dire, tant de choses que j’aurais voulu savoir de vous. La vie nous entraine dans sa course rapide. On a la sensation de glisser dans le courant d’un fleuve qui vous emporte sans pouvoir aborder à la rive accueillante qu’on aperçoit et sur laquelle on voudrait se fixer.

Mais moi qui ne me résigne pas facilement à la fatalité, je n’abandonne pas sans lutte la partie, si toutefois vous voulez bien vous prêter à mes tentatives et si vous me permettez d’agir pour que je puisse vous faire venir dans la capitale, ne serait-ce que pour un séjour passager.

Aurais-je enfin une lettre de vous demain ? Je vous assure que je trouve le temps long d’attendre chaque matin avec impatience le facteur qui n’apporte jamais rien, tout au moins de ce que je désire le plus.

N’oubliez pas ce que je vous ai dit au sujet du moyen qui nous permettrait de nous donner des nouvelles plus intimes et dites-moi si vous êtes d’accord avec moi.

Avec mes plus affectueuses pensées

Henry

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