Concorès 20 septembre 1941

Ma chère grande amie

Quelle joie de me sentir en zone libre et surtout de pouvoir vous écrire librement après avoir été privé pendant un an de ce plaisir.

Hier en passant à Cahors pour me rendre à Concorès, je vous ai envoyé un télégramme pour vous apprendre que j’étais enfin dans le Lot et pour vous demander de m’écrire.

J’ai malheureusement trouvé aujourd’hui, à mon arrivée, ma mère en bien mauvaise santé et cela attriste bien mes vacances. Elle a besoin des plus grands soins.

Mais parlons de vous surtout. Je vous communique l’imprimé qu’on m’a donné au Conservatoire. Avez-vous adressé votre demande d’inscription pour participer au concours comme je vous en ai donné le conseil dans ma dernière carte. Sinon il faudrait le faire sans retard. Je ne puis me résigner à l’idée que votre demande ne soit pas agréée pour venir à Paris, surtout en raison du motif qui vous a fait la déposer. J’ai écrit à ce sujet au Ministre de l’Intérieur, dont les Préfectures dépendent, mais j’ai été obligé de la laisser à son bureau de Paris ; je ne sais si elle lui sera transmise directement ou s’il ne pourra en prendre connaissance que quand il viendra dans la capitale. En tout cas, maintenant que je suis ici, je vais lui en adresser une autre directement à Vichy, ce que je ne pouvais faire tant que j’étais en zone occupée.

Ma lettre d’aujourd’hui n’est qu’une lettre d’attente, une simple première reprise de contact après une si longue privation de correspondance véritable. Figurez-vous que je me sens pour vous écrire presque gauche et aussi intimidé qu’une jeune fille ingénue et rougissante. Car à un an de distance, je me dis que votre caractère, votre nature et bien des choses en vous ont pu évoluer, changer et que je ne me trouverai peut-être plus tout à fait en présence du même être ; aussi ma pensée reste-t-elle un peu suspendue, hésitante et craintive. Pourtant, la lecture de vos cartes me fait espérer que vous demeurez toujours l’incomparable amie qui n’a jamais quitté mon cœur.

Je vous écrirai demain(1) longuement, comme au temps de notre bonne intimité d’autrefois, comme durant ces trois mois merveilleux où, du 15 juin au 15 sept 1940, j’ai vécu uniquement dans l’obsession constante de vous (ce qui ne veut pas dire que depuis votre souvenir se soit affaibli en moi si peu que ce soit, mais j’ai toujours vécu dans l’anxiété de ne plus tenir dans votre pensée la part que vous aviez bien voulu si généreusement me réserver).

Vous seriez adorable si vous vouliez bien m’envoyer de nouvelles photos de vous. Vous ne sauriez croire le plaisir immense que cela me causerait. J’ai toujours les vôtres qui ne me quittent jamais, mais je suis comme les enfants insatiables de gâteaux qui, à mesure qu’on leur en offre, en veulent encore et encore (Joignez-en une de votre maman, cela me ferait plaisir de la connaitre).

Au revoir mon amie chérie. Parlez-moi longuement, longuement de vous. j’ai tant soif de vous lire d’une façon qui ne soit pas mesurée au compte-gouttes et de connaitre votre vie depuis un an.

Avec toutes mes pensées tendres

Henry G.

(1) ou plutôt lundi car il ne part pas de courrier ici le dimanche.

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