Concorès le 10 aout 1951

Ma chère petite Suzanne, Suzanne chérie

Vous êtes vraiment un amour de femme pour m’avoir encore écrit et souhaité ma fête, alors que, depuis le début de cette année, je me suis efforcé de disparaitre de votre vie, puisque vous aviez fixé votre destin ailleurs.

De vous-même vous aurez bien, je pense, compris ou senti le motif de mon silence volontaire. Vous aurez su vous dire qu’à partir du moment où je vous perdais, alors que depuis 10 ans vous étiez l’objectif exclusif de ma vie, il était au-dessus de mes forces d’entretenir une amitié qui ne pouvait plus désormais que maintenir vivante la blessure subie. Ce que j’ai désiré de toutes mes forces, c’est de parvenir à vous oublier pour que puisse se cicatriser progressivement la plaie que j’avais au cœur. Mais je n’y suis guère parvenu, car ayant eu beau me réfugier dans le silence, votre pensée me poursuivait quand même et jusque dans mon sommeil, car jamais je n’ai rêvé autant à vous que depuis que je tentais d’échapper à votre souvenir.

Vous, évidemment, c’est tout différent ; vous ne désiriez pas interrompre notre si ancienne correspondance, parce que c’est vous qui me quittiez et cela ne pouvait vous faire de peine puisque vous me remplaciez par beaucoup mieux à tous les points de vue. C’est pourquoi notre attitude mutuelle envers l’autre ne pouvait pas avoir le même comportement.

Si donc je ne vous écrivais plus alors que vous vouliez continuer à le faire, c’est par un sentiment de self defense en quelque sorte et qui, je pense, vous paraitra assez naturel.

Mais je dois vous dire quand même combien j’ai été touché profondément par vos bons vœux de fête et de mon côté, je vous adresse à mon tour les miens et de grand cœur, en y joignant tous mes vœux de bonheur durable, car je pense que pour rester à Nice depuis votre départ – ce qui m’a paru formidable et déconcertant, alors que vous deviez revenir à Paris 1 mois après – c’est parce que vous avez dû arranger votre vie avec ce Monsieur. Je ne puis croire à autre chose, parce que chaque fois que j’ai téléphoné au n° que vous m’aviez indiqué, personne n’a jamais répondu. J’en ai donc conclu que, pas plus que vous, votre… comment dire… votre fiancé, dirais-je, ne revenait plus dans la capitale. Quel arrangement était survenu entre vous, je l’ignore, mais j’ai préféré ne pas le savoir, car certainement cela ne m’aurait pas causé de plaisir. Voilà un peu dans quels tâtonnements ma pensée cheminait et je me disais par surcroit que vous deviez déjà connaitre ces nouvelles dispositions lors de notre dernière rencontre (au petit déjeuner bien modeste que vous avez eu la gentillesse d’accepter), puisque vous avez décidé d’emporter toutes vos affaires. Je n’ai donc pas compris pourquoi vous n’avez pas voulu me parler des nouveaux projets arrêtés. Sans doute n’avez-vous pas osé. Alors dans ces conditions et en présence d’une pareille déconvenue – le mot est trop faible – je ne ressentais qu’un désir de fuite, qu’un besoin de vous chasser de ma pensée et de mon cœur… mais hélas, cela ne s’exécute pas au gré de la volonté.

J’ai quitté Paris hier soir et avant de partir je vous ai, bien entendu, retourné le châle. Espérons qu’il ne se perdra pas avec tous les voyages qu’il fait.

Je vous dis encore, chère Suzanne, combien je vous souhaite de passer une heureuse fête. Je ne voudrais pas que vous puissiez croire que je ne m’associe pas de tout cœur à tous les vœux que vous recevez. Dites à votre maman mon très affectueux souvenir et vous… je vous embrasse tendrement.

Henry

Je suis à Concorès pour une quinzaine de jours.

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