Concorès le 16 janvier 1950

Ma chère petite

Je reviens vous trouver. Si vous saviez comme je suis anxieux à votre sujet. Cette pensée que vous êtes toujours couchée depuis plus de 2 mois me poursuit, car habituellement dans une pleurésie, cela, je crois, dure moins longtemps. Dans quel état vous devez être ! De ne plus rien savoir depuis fin décembre me met dans une inquiétude sans nom. Si au moins je pouvais recevoir cette semaine des nouvelles de vous et surtout qu’elles soient meilleures. Avez-vous au moins un bon médecin et qui fasse usage des remèdes modernes, comme la streptomycine dont je vous parlais dans ma dernière lettre ; et il y en a d’autres parait-il, dont me parlait le Dr Rédoulès et dont je n’ai pas retenu le nom. Que votre maman m’adresse un mot si vous êtes trop faible pour le faire.

Je suis ici tout seul dans cette grande demeure (vous auriez certainement peur), et en plein janvier ce n’est pas très gai. Je vous écris de la chambre que vous occupiez et mon esprit se reporte à 1 an ½ en arrière, quand vous étiez là et que nous passâmes ces semaines si charmantes. Mais, comme dit Dante, il n’y a pire douleur que de se rappeler les jours heureux dans les jours de malheur. On voudrait pouvoir éterniser les moments de bonheur ; ils sont si rares, si courts, du moins pour certains et ce fut hélas notre cas puisque le sort malheureux s’acharne contre nous, contre moi et maintenant il a porté le comble en vous rendant si malade.

Dès que j’ai été au courant pour vous, j’ai donc décidé de faire l’impossible pour me procurer de l’argent et suis venu ici pour emprunter sur mes terres. Mais hélas, en ce moment, on ne trouve pas de prêteurs ; d’autre part (car il y a une hypothèque qui dure toujours et qui avait été prise quand ma mère était si malade) je ne puis à cause de cela vendre des terres, comme j’y avais songé. Alors, je vais tenter, d’accord avec mon notaire, un autre procédé : celui d’emprunter au Crédit Foncier, mais c’est très compliqué. Il faut constituer un dossier très complet, en justifiant le motif de la demande et il faut attendre au moins 3 mois pour avoir le prêt. Le motif de la demande que j’invoque, c’est évidemment des réparations urgentes et je ne croyais pas si bien dire, car en arrivant ici, j’ai trouvé le plafond de la salle à manger en partie effondré, le mur de la façade étant trop inondé par les gouttières. La tour d’entrée est également en très mauvais état. Je fais faire un devis pour la constitution du dossier et il faut prévoir des centaines de mille francs de travaux.

Vous voyez, ma pauvre petite, combien tout cela est attristant. Mais ce n’est rien, pour moi, à côté de votre maladie et cela seul hante mon esprit. Comme je voudrais être un peu rassuré pour vous. Est-ce que votre père a pu être mis au courant ? Est-ce que d’apprendre cela l’a fait revenir à de meilleurs sentiments ? Votre pauvre maman doit être épuisée après tant de soins si longs et tant d’inquiétudes. Et comment faire face matériellement à toutes ces dépenses ? Et moi réduit, en ce moment, à l’impuissance, malgré mes efforts et toutes les combinaisons que je tente.

Après les pleurésies, je sais que la convalescence est très longue, au moins une année ; qu’on reste très fragile pendant très longtemps et qu’on doit être très surveillée. A la belle saison, je crois que de venir ici avec votre maman vous ferait du bien ; mais il faut attendre qu’il fasse un peu chaud, vers mai par exemple.

Je reste ici encore un certain temps pour mettre en mouvement cette demande et le dossier que je m’occupe de constituer ; il faut rassembler beaucoup de pièces : matrices cadastrales, polices d’assurances, feuilles d’imposition, actes de propriété, devis etc., ça n’en finit pas.

Les personnes qui ici vous ont connue, Mme T., le Dr Crozal, le Dr Rédoulès, Marie, les G. etc. et à qui vous avez été si sympathique sont désolées de vous savoir malade et de me voir par contre-coup si triste.

Je vous quitte, ma petite Suzanne, en vous embrassant bien fort, bien fort. Je voudrais tant être auprès de vous et vous soigner. De tout mon cœur,

Henry

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