Le 8 juillet 1967

Chère Mademoiselle,

Que devez-vous penser encore de ce retard ! Une indisposition, due à la chaleur en visitant un chantier, a changé mes itinéraires et je dois remettre à plus tard mes projets, qui m’auraient rapproché de vous. Donc, à plus tard la ville Phocéenne et mes terrains de St Tropez !

L’émotion que j’éprouve en lisant vos lignes est grande. Comment trouver les mots pour exprimer ma joie ? La petite esquisse, rudimentaire, de votre vie m’a ravi ! Vous êtes 1er prix du Conservatoire de Nice ! Carrière théâtrale ! Combien je l’aime, combien je l’adore ! Chère Mademoiselle, combien ceci nous rapproche !

La guerre a anéanti aussi mes rêves ! Ce serait un livre à écrire ; mais vous comprendrez avec ces mots laconiques ce que cela veut dire ? Je pense vous le raconter un jour, de vive voix.

Vous êtes, chère Mademoiselle, une sensible. Encore un peu de moi-même.

Vlaminck ! Vous aimez les « Fauves » ! Mes préférés sont Toulouse-Lautrec, Renoir et Degas. Comme professeurs dans la sculpture, j’ai eu Kolke – Allemand. Grand admirateur de Rodin, je ne trouve qu’une seule sculpture de Maillol digne d’intérêt : La Nuit.

J’ai vu, dans le jardin Royal de Toulouse, une statue de Maillol : le monument à la mémoire des équipages qui ont traversé l’Atlantique (St-Exupéry / autres). C’est une femme nue, allongée.

De l’autre côté du même jardin, j’ai découvert le monument à  Déodat de Séverac (une muse, debout, qui a le corps très proportionné mais je n’ai pu savoir qui l’a sculptée !).

Crédits Photos

Je ne suis pas Corse mais Viennois (originaire d’Autriche). Maman était Russe orthodoxe (mon père catholique). Ma mère a eu le Grand Prix du Conservatoire de Saint Petersbourg (Danse).

J’ai collaboré à une revue très célèbre pour les arts (Vienne). Je suis un grand doué, un passionné pour les arts et que dire encore, chère Mademoiselle ?

Lorsqu’on avait refusé des représentations des ballets russes, cette unique beauté d’art, cette représentation sans pareille, la révolte dans mon âme fut immense. Comment mêler l’art, ce pur cristal, à l’hypocrisie politique ? L’art n’a pas de frontières ; l’art ne connait que la grandeur et la noblesse du cœur et de l’esprit. Hélas ! Le XXe siècle, qu’on voudrait le siècle du progrès, détruit, sous le prétexte de mieux faire, les plus belles conquêtes de l’art…

Chère Mademoiselle (je ne connais pas encore votre prénom), je souhaite de tout mon cœur que la petite lueur qui se dessine à l’horizon s’intensifie, devienne lumière ; car ce que vous m’écrivez, ce que vous exprimez encore timidement, comble absolument mon cœur : c’est beau, c’est presque parfait. Vous avez le pouvoir, et avec quelques mots seulement, de faire renaitre en moi l’inlassable désir dans cette tension de tout l’être vers ce qu’il cherche à étreindre.

J’ai longtemps cherché l’explication lumineuse de ce monde, dont nous ne connaissons encore que l’opaque approximation ; je ne l’ai pas trouvée ! Mais j’ai mon « credo », la secrète croyance que, bien que la vie soit méprisable et laide souvent, que les gens soient vils, cruels et bas en certains moments, il y a, néanmoins, derrière tout cela quelque chose qui, si j’étais assez grand pour le comprendre, rendrait la vie d’une beauté indescriptible.

J’aime la vie, la vie chaude, ardente, vivante ; m’y enraciner – apprendre, savoir, penser, agir, sentir, désirer, AIMER – voilà ce que je veux. Rien de moins. Aspiration passionnée…

Ma pensée reste avec vous

L.B.

P.S. Sur la photo : mes cheveux sont gris en réalité – je ne sais quel reflet de lumière a pu déformer la nature. Vous pouvez garder l’image si vous voulez.

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