Paris le 10 octobre 1943

Ma chère grande amie

Quand je suis rentré à Paris avec pas mal de retard provoqué par un déraillement du train qui précédait le mien, j’espérais trouver une lettre de vous. Mais hélas, il n’y avait rien. Je suis alors allé rue Thoullier à l’hôtel Soufflot pour savoir si conformément à la lettre que j’avais adressée de Concorès, on vous avait écrit pour vous dire s’il restait encore une chambre de libre. Hélas j’ai appris qu’il n’y avait plus rien de disponible et qu’on vous en avait d’ailleurs prévenu. Vous aviez attendu trop longtemps pour me répondre et faire retenir la chambre. j’ai été profondément désolé par cette nouvelle circonstance venue contrecarrer vos projets. Vraiment vous n’avez, ou plutôt nous n’avons pas de chance, puisque je me réjouissais tant moi-même de votre retour.

Presqu’aussitôt après mon arrivée, j’ai dû repartir dans les régions bombardées pour faire enquêtes et rapports et j’ai ainsi pérégriné pendant 8 jours. J’espérais trouver enfin à mon retour une lettre de vous en réponse à la mienne, puisque c’est moi qui vous avais écrit le dernier. Mais sans doute êtes-vous trop découragée pour écrire. Malgré votre silence, je me suis activement occupé de vous tous ces jours-ci. J’ai battu le ban et l’arrière-ban de toutes les personnes que je connais. Dinant l’autre soir chez des amis, j’ai fait la connaissance de l’ancien directeur de Comoedia et de sa femme. J’ai profité de cette réunion pour dire combien j’éprouvais de difficultés à trouver une chambre ou un appartement pour vous. De part et d’autre on s’est alors efforcé de me venir en aide :

1°) La maitresse de maison où je dinais m’a mis en rapport avec de leurs amis, un avocat ancien député, et sa femme qui seraient disposés à sous louer une chambre dans leur appartement situé rue de Ponthièvre, dans le quartier de l’Élysée. J’y suis donc allé et j’ai visité cette chambre. Elle n’est pas très grande, mais assez coquette, située au premier étage et sur la rue. Elle a une forme rectangulaire, mais un peu en longueur et correspond à peu près au croquis ci-joint.

C’est évidemment bien mieux et moins froid qu’une chambre d’hôtel. Il y a le chauffage central et le téléphone. Le prix demandé est de 500 francs, mais je crois qu’on pourrait l’avoir pour 400 ou 450 francs. Cette chambre est libre actuellement. J’ai dit qu’on la conserve jusqu’à ce que j’aie pu correspondre avec vous.

2°) D’autre part, l’ex-Directeur de Comoedia, dont je vous parlais plus haut, m’a autorisé à écrire à sa sœur qui occupe un grand appartement avenue Mozart (dans le quartier de la Muette, le plus chic de Paris) pour lui demander si elle ne voudrait pas louer une pièce. J’ai donc écrit aussitôt. L’avocat vient de me répondre par téléphone, après plusieurs jours d’attente, que sa sœur absente venait à son retour de prendre connaissance de ma lettre ; qu’elle me faisait dire qu’elle avait déjà loué précédemment la chambre qu’elle aurait eu de disponible, mais que la personne qui l’occupait allait probablement être nommée ailleurs et que si cette éventualité se produit, comme il est probable, on me préviendrait et on me garderait cette pièce.

3°) Ayant appris qu’une de nos amies, châtelaine des environs de Concorès et qui a un appartement à Paris où elle habite en temps normal, appartement dont elle avait sous loué une partie il y a quelques temps, n’avait plus ses locataires, je lui ai écrit aussitôt pour savoir si le fait était exact et dans ce cas j’ai chaudement recommandé votre candidature. C’est ce qui me paraitrait le mieux, car vous auriez là, dans une maison très bien et que je connais d’ailleurs, une ou deux pièces avec une cuisine. Vous pourriez donc ainsi faire venir éventuellement votre maman à Paris ainsi que vous en avez manifesté l’intention. J’ai prié cette dame de me répondre le plus tôt possible pour être fixé et je vous tiendrai au courant.

4°) Enfin, on m’a donné une autre adresse pour une chambre dont on saura à partir du 15 courant si elle est libre ou non.

Vous voyez mon amie que je fais l’impossible pour tâcher de vous trouver quelque chose, puisque les hôtels sont tous remplis. Mais je ne sais plus rien de vos projets, n’arrivant pas à m’expliquer pourquoi tout d’un coup vous ne donnez plus signe de vie. Et pendant ce temps, tandis que je reste dans l’ignorance complète de ce que vous devenez, de ce que vous comptez faire, je lis sur les affiches théâtrales collées sur les murs de Paris les noms de vos amies, Clarisse Deudon, qui va faire ses débuts le 15 octobre à la Comédie Française dans Andromaque et Mireille Montangerand qui joue actuellement au Théâtre des Champs-E lysées dans une pièce intitulée « Robinson ne doit pas mourir« . Cela me fait de la peine de voir ces noms, quand je me dis que vous êtes sans doute en train de vous morfondre là-bas, dans les si tristes conditions que vous m’avez décrites. Mais reprenez courage, ma pauvre amie. Une fois que vous serez à Paris, vous arriverez bien sans doute, comme les autres, à vous débrouiller.

J’ai bien hâte de vous lire et en attendant, je vous adresse, chère Suzanne, mes plus affectueuses pensées.

Henry

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