Paris le 6 juin 1960

Ma chère petite Suzanne

Bien sûr que je n’attendrai pas pour répondre à votre lettre de mai dernier la date de votre fête, ce qui me repousserait jusqu’au 11 aout.

Ce que je tiens d’abord à vous exprimer, c’est tout le désenchantement que j’éprouve à ne pas être à côté de vous ces temps-ci. Il faut bien dire que la chance ne nous poursuit pas, ayant chacun nos ennuis.

En ce qui me concerne, vous vous étonnez que je sois un peu trop accaparé par les soucis et les tribulations que m’occasionne ma cousine. Mais voyons, comment faire autrement, puisque je suis son unique parent à Paris. Ce n’est pas, je vous prie de le croire, une source d’agréments dans ma vie. Et à ce sujet, je relève de vous cette phrase qui m’ébahit et que vous m’écrivez à propos de ce que je puis faire pour cette pauvre vieille femme : « Si ce n’est pas indiscret, j’aimerais bien que vous me parliez franchement sur ce point, car je ne comprends pas« . Vraiment, je suis interloqué. Vous vous posez une interrogation étrange qui ne s’expliquerait que si, dans votre pensée, j’avais une liaison mystérieuse dont il conviendrait de déterminer la nature. C’est pourtant bien simple. Bien que je ne sois pas très pratiquant, je pratique néanmoins la charité chrétienne vis à vis du prochain, à plus forte raison quand il s’agit de la cousine germaine de ma mère. Ce genre de discipline, je me l’impose même à l’égard des animaux ; vous en avez la preuve avec mon chat Kiki qui n’est pas particulièrement commode, comme vous le savez, mais qui a besoin de moi car d’autres ne le supporteraient pas.

Pour en revenir à ma cousine, j’ai encore eu avec elle une chaude alerte il y a une quinzaine de jours. Elle s’était barricadée chez elle et ne répondait pas. Je la croyais morte. J’ai dû faire venir un serrurier pour forcer la porte et un médecin pour la faire hospitaliser à l’hôpital, où elle se trouve en ce moment en observation. On peut dire que la séance continue.

Mais parlons de vous maintenant, chère Suzanne. Ce Monsieur X (je ne dis plus « Monsieur Biscuit », cela semblant vous contrarier, mais c’était pour moi le moyen le plus simple de le désigner, étant donné que vous n’avez jamais voulu me donner son nom, exception unique car pour toutes les personnes que vous connaissez, vous me disiez comment elles s’appellent) aura été pour vous une bien funeste rencontre, tout au moins sur le plan matériel. Vous avez vraiment beaucoup de patience pour rester ainsi à sa disposition « gratis pro deo« . Est-il toujours marié ? Et si oui, il faut bien qu’il fasse vivre sa femme à laquelle vous me disiez qu’il offrait de nombreux voyages. De ceux-ci, ce serait alors vous qui en feriez en partie les frais.

Je me demande comment vous pouvez vous arranger dans de pareilles conditions d’existence. Ce n’est évidemment guère le moment de trouver une situation nouvelle à l’approche de l’été. En tout cas, je tiens à atténuer dans la mesure de mes possibilités les conséquences d’un pareil état de choses pour vous.

Je commence donc aujourd’hui en vous priant d’accepter ce petit billet, et chaque mois je ferai de même jusqu’à ce que vous ayez trouvé une situation acceptable.

Je vous quitte, ma chère petite Suzanne, en vous embrassant de tout mon cœur.

Henry

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