Souillac le 6 octobre 1941

Mon amie infinie, ainsi que je vous ai qualifiée une fois pour vous montrer toute l’étendue de la place immense que vous occupiez dans mon cœur, je reçois ce matin au moment de partir vos 2 exprès qui mettent le comble à mon bonheur. Je n’ai malheureusement que quelques instants pour vous jeter ces mots à la volée (cette fois l’expression est juste) et dans lesquels je voudrais mettre tout ce que je ressens au moment de me séparer de vous et qui est pour moi inexprimable.

« J’avais cru votre sensibilité absolument sœur de la mienne » m’écrivez-vous. Vous avez bien, je pense, maintenant la certitude de cette similitude puisque, ainsi que vous l’avez remarqué vous aussi, nous nous sommes faits les mêmes querelles de tendresse, des querelles d’amoureux dirais-je si cette expression de vous à moi n’était pas erronée. Ainsi vos reproches injustes m’ont fait en réalité plaisir.

Injustes ils le sont plus que vous ne l’imaginez, car je me rends compte que je vous ai écrit des lettres qui ne semblent pas vous être parvenues. C’est ainsi que pour répondre à vos questions de votre 1ère lettre, je vous avais fait un long exposé de la vie actuelle à Paris et je vous adressais un fervent appel pour que vous veniez me rejoindre, vous disant que le logement vous attendait, à titre gracieux bien entendu, que ma bourse était à votre disposition comme au temps romantique de Mimi Pinson, d’Henry Murger, et de la vie de Bohème qu’il serait si ravissant de faire revivre, qu’il fallait tranquilliser votre maman en lui disant que je veillerai sur vous avec la sollicitude d’une mère sur un bébé. Je vous disais que Cyrano attendait avec impatience sa cousine Roxane.

Dans une autre lettre, je vous demandais la faveur de m’envoyer une mèche de vos cheveux pour avoir quelque chose de vous que je pourrai tenir dans mes dents et avoir ainsi la sensation suave de mordre à même votre être et je m’excusais de toutes les choses un peu folles que je vous disais au cours de cette lettre.

Tout cela vous ne l’avez pas reçu il me semble et vous m’avez accusé de négligence et en punition vous, vous avez tardé à m’écrire en me faisant des reproches et à mon tour je vous faisais des scènes, mon amie, pour ce silence qui me mettait hors de moi et que je trouvais incompréhensible. Et ainsi nous nous prouvions notre attachement l’un à l’autre et mieux encore, nous faisions valoir avec quelque vivacité les droits que nous estimions avoir l’un sur l’autre. N’est-ce pas de l’intimité profonde de se tant exiger mutuellement.

Minutes inoubliables ! Il semble que le sort a voulu nous faire mieux connaitre en répercutant si intensément sur chacun les actes de l’autre.

Comment vous dire l’impression produite en moi par vos 2 dernières lettres si tendres qu’elles me semblent comme la caresse de votre âme et mettent la mienne en incandescence. Je voudrais avoir 50 mains pour vous écrire simultanément 50 lettres différentes, 50 cœurs pour vous les offrir. Mais le temps me presse hélas. Il faut que je termine.

Mais auparavant, laissez-moi toutefois vous dire que toute ma pensée se concentre sur votre venue à Paris, que je ne vis que dans cet espoir et que si ce jour-là se réalise, il me semblera que le ciel descend sur la terre. je vous écrirai bientôt plus longuement.

Mon amie chérie, je vous serre dans mes bras de toute la force de ma tendresse.

Henry

Je vous retourne la carte puisque cela parait vous ennuyer de vous en séparer. Non ne mettez pas ma photo sous verre. Elle est trop médiocre. Cachez-la dans le fond d’un tiroir. Encore à vous avec tout mon coeur.

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