Le 14 sept. 1967 23h

Suzanne… chérie,

Mardi matin j’avais reçu votre lettre de dimanche (10 sept.) et vous savez bien quel plaisir me fait votre pensée ! Mais – Suzanne – ce plaisir aurait été plus grand si vous n’aviez attribué à certaines de mes phrases un sens contraire à leur nature-même… et j’en suis navré. Est-ce possible que vous me croyez un individu aussi méprisable, comme vous le soupçonnez – et ceci plus encore dans votre lettre du 12 septembre !

Lundi soir, je vous avais écrit un récit… plus lyrique que descriptif, sur l’impression qui m’était restée pendant un séjour automnal dans la forêt de mon Tyrol. Je sais que Nous parlons même langage et qu’une seule pensée nous unit ! Et, en écrivant ce récit, dont je vous parle, je me sentais si près, ô ! entièrement à vous, Suzanne. Je vous le joins, raccourci, et à l’avance je sais déjà que vous ne pouvez ressentir autre chose que ce que j’ai ressenti et ressens.

Je vous écris, ce soir, mon âme, étendu sur mon lit, volets clos, près d’une faible lumière, et il me semble que je vous parle. De temps en temps, mon regard caresse vos images si belles ! Et une lueur, un parfum mystérieux se dégage de votre visage souriant – une mélodie douce, tendre, chaude, flotte encore autour des deux feuilles bleues que vos petites mains ont touché et… mon Dieu, Suzanne…, vous qui êtes ma fée exquise, ma pensée nostalgique… pourquoi ne voulez-vous pas comprendre ce que mon CŒUR bat pour vous ? Si j’ai dit : « dois-je étouffer… etc. » et « … ma pensée nostalgique se meurt sur mes lèvres… » – n’auriez-vous donc pas compris ? Je n’osais pas vous dire avec des mots encore ce que mon cœur criait à tout moment. Eh bien, si je vous l’avais révélé, vous m’auriez pris pour un excentrique ! Et pourtant, Suzanne, je suis si mesuré ! Non, non, rien ne nous sépare. Non ! Je suis libre de mes actions – mais décidément vous trouvez tout étrange et mauvais ce qui est simple et bon. Soit. Mais pour éviter tout malentendu, sachez que le cri que j’ai étouffé voulait tout simplement (oui, Suzanne) vous dire : toute ma vie vous appartient, mon cœur vous contient et je ne rêve plus que d’être ensemble pour toujours.

Alors ?

Pour garder notre relation intacte, je vous propose, pour mal que cela me fasse, de nous écrire une fois par semaine (ce ne sera pas long mon séjour) et dès mon retour à Neuilly, vous adresserez votre correspondance à mon domicile.

Je vous retourne toutes les photos – je les ai serrées sur mon cœur et… embrassées. Ô ! Je ne pouvais les garder, mais dès que vous aurez reçu les miennes, vous me renverrez les trois suivantes.

1) Celle qui a été coupée en haut et vous représente habillée en blanc entourée d’une treille.

2) Celle où vous êtes avec le chat.

et 3) Où vous êtes, presqu’une silhouette, au bord du lac.

Suzanne chérie, chérie, tant chérie… il me semble qu’un peu de mon bonheur s’en va. Mais vite, vite : écrivez-moi, je vous implore. Dites-moi que vous pardonnez mes élans. Dites-moi aussi que vous ne me retirez pas votre sympathie.

Il est déjà tard – je dois vous dire : bonne nuit ! Mais mon cœur qui ressent pour la première fois pour vous la peine dans un amour naissant, reste près de vous.

Lou

P.S. Paul Paray doit être âgé à l’heure actuelle. L’avez-vous connu ?

Le concert pour violon en D-dur (= ré majeur) de Beethoven est, pour moi, le plus beau concert pour violon, et, bien sûr ! La « Pastorale »… c’est inévitable… la forêt, la prairie, les oiseaux… les ruisseaux !

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