Le 22 aout

Très chère Mademoiselle,

« Vous voilà avec deux jours de retard » dira ma sympathique correspondante. Dimanche et lundi, chère Mademoiselle, il m’était impossible de tracer un seul mot ; après les massages et la gymnastique des doigts, je tremblais et ce n’est que ce soir que je peux sans grands efforts vous écrire.

J’avais voulu sanctifier l’après-midi de dimanche en vous écrivant. Je dis bien : sanctifier, pour vous démontrer la haute estime mêlée d’admiration que je porte dans mon cœur et mon esprit pour vous. Hélas ! Ce phlegmon qui est en train de se cicatriser a bouleversé par ses accès réactifs avec ses tremblements nerveux mes intentions. Je voudrais que ma sympathique amie et correspondante m’excuse.

J’ai mesuré avec calme et dans la tranquillité, sans le laisse emporter par la moindre excentricité, nos valeurs communes. J’ai jugé qu’elles sont appréciables, et sans m’étendre davantage sur ce fait, un grand espoir s’est fait place dans mon coeur ; je ne suis pas facilement porté à l’enthousiasme dans ma vie pour quelqu’un ou quelque chose. Il faut que j’eusse bien approfondi un problème pour me décider après mûre réflexion… Comme vous voyez, rien à la légère.

Je désire une femme exceptionnelle, intelligente ; une femme gracieuse, charmante, douce ; une maitresse de maison, une âme inspiratrice surtout : mes créations d’art doivent trouver leur source dans ma femme. CORPS – CŒUR – ESPRIT, cette trinité excite l’inspiration. Une belle pensée, une douceur donnée, le charme féminin du corps – tout cela possède des inspirations qui se perdent dans l’infini.

C’est regrettable que la guerre ait mis une fin cruelle à votre carrière ; je voudrais vous entendre parler, étudier vos mouvements, l’expression de vos yeux !

Vous dites : « … je voudrais connaitre des pages de plus belles amours (dans mon avenir) et comme ce doit être bon d’y vivre (Neuilly) avec un compagnon de choix« . Mais le même désir me hante, chère Mademoiselle. Car j’ai la certitude que l’intérieur de ma demeure vous plairait. Mais vivre dans ce cadre, entouré d’amour, rien que d’amour, par une compagne qui aurait le pouvoir d’attirer sur moi les plus douces émotions, les plus purs ébranlements de l’être… mon amie lointaine, je ne demanderais pas davantage.

Je devais vous dire ces mots, mon cœur a un besoin immense d’amour, d’amour vrai, pas de cet amour qui se borne aux sensations animales.

J’ai une petite voiture pour la ville, et une voiture… appelons-la « de prestige », Mercédès, que je veux changer avec la nouvelle 250.

Mes affaires en ce moment ne sont guère brillantes ; la crise qui sévit dans le bâtiment est grande ; néanmoins j’ai réussi quelques affaires, qui me semblent promettre un gain intéressant. L’avenir me le dira, car nous vivons dans une époque des possibilités impossibles.

J’ai essayé une sculpture sommaire de vous, avant que ma mian devienne malade. Je me suis arrêté à la coiffure… et je m’interrogeais comment vous étiez coiffée…

Je nourris le grand espoir de vous « faire », « former » un jour ; pour cela, évidemment, vous ne seriez plus une simple inconnue dans ma vie ; mais l’intimité de l’œuvre exige que vous soyez ma femme.

« Quelles rêveries ! » direz-vous en lisant cette lettre. Des rêveries ! Pas tellement, pourtant, si l’on regarde de près. Et d’une rêverie, chère Mademoiselle, peut surgir la plus séduisante réalité, ne l’oubliez pas !

Je pense à vous avec tendresse
L.B.

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