Le 22 sept. 1967
Mon Éternelle Pensée,
Pardonnez-moi, Suzanne, la lettre inachevée d’hier soir ; le sommeil, ce maitre impitoyable, m’a surpris et… j’ai dû l’interrompre.
Je n’ai pas pu la continuer ce matin, mais, afin que vous eussiez un mot de votre « Lou » samedi matin, je vous l’ai envoyée par « EXPRES » ce jour. J’y ai mis un souffle de ma tendresse : respirez-le bien fort. Un battement de mon cœur plein de nostalgique désir y est aussi : serrez les deux feuilles blanches contre votre cœur et unissez vos pensées, femme chérie !
Vous aimeriez connaitre le son de ma voix ! Eh bien, Suzanne, en dépit du long séjour en France, j’ai gardé toujours un accent étranger ; je l’impute à la fâcheuse habitude d’avoir parlé l’allemand et le russe à la maison, chez nous. Je ne sais si c’est une raison suffisante.
Et me voici encore avec votre… chevelure blonde-foncé ! C’est vrai, j’ai dû abandonner l’essai de former ma lointaine Suzy d’après mon imagination ! Surprise pourtant… mystérieuse : sauf la coiffure j’ai eu l’intuition de vos beaux traits ! Mais maintenant que je connais votre taille et vos mesures, je ne résisterai pas à la tentation de vous… recréer ! Plus tard, à Neuilly, dans l’intimité de tout ce qui nous unit et fusionne, je vous ferai entièrement ; comme seul un époux, passionnément épris de sa femme, connait l’inspiration. Je ne m’arrêterai donc pas au premier essai ! Car :
« Pardonnez ! Cette main que la faiblesse accable
N’a pas su modeler votre hautaine splendeur :
Malgré tout mon amour, et toute ma ferveur,
Je n’ai créé de vous qu’une image de sable.
Pardonnez à cette ébauche impure et périssable
Mais ma triste compagne alors était la peur
Qui, volant à mon art sa modeste valeur,
L’empêche d’imiter votre grâce inimitable ! »
Chérie ! On m’a dit, et l’on me dit encore, que je possède une vocation pour l’art ! Mais y a-t-il une vocation pour l’artiste Suzanne ? Je n’en doute point et pense ceci : vocation veut dire « appel », et l’appel vient de l’intérieur. Et écoutant cet appel, fidèle à la mission magnifique que le destin l’impose à l’artiste, son âme gravite autour de l’infini (et où l’infini « finit », l’éternité commence !)… Mais l’âme humaine n’a rien de l’astre, et tandis que l’étoile suit sa course invariable, l’âme, créée libre, trace elle-même son sillon préféré : la perfection, le divin, tel est le but qu’elle se propose d’atteindre.
Ô ! Je ne l’atteindrai jamais !
Ce soir, je serre contre mon cœur une carte (ô ! ce manque qui me fait frémir de joie ! Ce crépuscule qui crie ma nostalgie d’y être avec vous ! Suzanne, ma Suzanne !) qui m’est chère – dernièrement reçue et qui restera gravée dans mon cœur et mon âme… ô, mon aimée, ma vie, pourquoi osez-vous m’écrire : « les confidences ne s’arrachent pas !« .
Mais je vous ouvre tout mon cœur, femme adorée. Avec chaque lettre je vous laisse plonger dans ma vie – aucun secret – au moins pour vous, chérie ! Personne ne connait ce que mon cœur tourmente, sauf vous et moi – et le rêve qui m’étreint avec la plus violente passion, vous seule le savez…
Toujours, sans cesse, je vous regarde et admire. Ô, comme vous m’appartenez déjà ! Ô, ces trésors de tendresse que je devine et qui me donnent le vertige de la joie, le délire ! Je sens que vous me donnerez la plus haute volupté qui puisse exister… que vous me comblerez au delà de mon rêve !
Ô, image d’amour, au bord du lac !
Et ce visage-lumière, qui vous élève dans ma pensée, fièrement et hautainement, que vous me montrez… sous la treille habillée de blanc !
Laissez-moi près de vous. J’ai un besoin fou, immense, de vous serrer contre moi, ô, je vous désire tant et avec toute ma tendresse infinie qui vous attend, Suzanne chérie.
Mon Amour, ma Suzanne !
Je n’ai plus de patience jusqu’au jour où nous serons ensemble à jamais.
Suzanne, ma Suzanne…
Lou