Le 31 aout 1967 soir

Suzanne,

Je n’ai jamais été à Gérardmer ; j’en ai entendu parler, et connaissant maintenant votre gout pour apprécier les splendeurs de la forêt , du lac et de la montagne, je partage sans réserve votre enthousiasme. Votre vœu : « … j’espère un jour contempler ces beautés avec vous… » a trouvé un écho retentissant dans mon âme… Ô ! ces mots qui vibrent en tout mon être, Suzanne ! Être avec vous ! Ô mots ciselés de nostalgie féroce ! Je m’imagine ces heures lumineuses, pleines de nous-mêmes ; l’amour que je porte dans mon cœur pour la forêt, la montagne, les lacs y est enraciné depuis ma tendre enfance. Si vous connaissiez l’allemand, je vous enverrais quelques poésies – remarquables – que j’avais fait dans ma première jeunesse sur la forêt.

Mais l’homme « moderne » aime-t-il la nature ? Dans une façon déformée il feint de s’intéresser à ces merveilles. Mais dans notre époque, que je hais, où l’homme est devenu homme robot, homme termite, homme oscillant du travail à la chaine à la belote et à l’apéritif ?

On alimente l’homme moderne en culture préfabriquée, en culture standard, comme on alimente les bœufs en foin. On offre un bel immeuble, une meilleure voiture : mais quel homme pour les habiter ?

Chère, très chère Suzanne, combien je vous trouve différente de ce troupeau aveugle qui ne connait même pas la nostalgie.

Oui ! Combien votre personnalité me plait, me ravit ; aucune ombre ne ternit votre belle pensée et je me sentirais le plus heureux des hommes d’avoir une compagne comme vous, Suzanne.

Je vous remercie pour l’intérêt que vous témoignez pour ma personne. Je suis presque guéri de ma main et je ne crois pas d’avoir à supporter des conséquences fâcheuses.

Je vous envoie quelques cartes de… Paris ! Je sais que cela vous fera plaisir, d’autant plus qu’elles ont été choisies avec soin par votre lointain ami !

(J’avais hésité à vous adresser la lettre écrite hier soir – mais pourquoi ne pas exprimer ma pensée ? Pardonnez-moi si c’est mal).

Je continuerai cette lettre demain – et croyez que ma pensée ne vous quitte plus !

Louis

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