Le 9 sept. 1967

Suzanne,

Votre splendide lettre du 4 septembre est entre mes mains, et… mon Dieu ! dois-je étouffer ce cri impétueux qui veut s’élancer vers vous… vous m’êtes chère, très chère, toujours présente, votre pensée se confond avec la mienne et me poursuit nostalgiquement sans cesse… Mais mon appel se meurt sur mes lèvres… et je vois dans mon rêve grandir à l’infini votre silhouette – ô si belle ! – en fond du soir tombant.

Ô Suzanne ! n’est-ce pas Gérardmer ?

Les nouvelles photos, je les regarde et regarde. Est-ce possible ? Dites-moi que je vous vois et que vous existez – vous, le reflet de mon âme. Je suis ravi, charmante âme ! Ravi de nous regarder comme une seule unité – n’est-ce pas incroyable ?

Vous avez aussi l’amour de moi pour les bêtes ! Le chat est mignon – mais votre profil dépasse toute imagination… et il me semble respirer, en vous regardant, tout le parfum qui reste dans votre chevelure et je me sens ivre, ivre de joie.

Ô vous ! vous avez le don de deviner ce que je n’écris pas. Mais c’est la meilleure preuve que Notre pensée est identique.

Oui, je voudrais que cet immense besoin d ‘une présence féminine soit exaucé par le destin.

Jusqu’à présent ce n’était que le vide absolu, le désert. Ce ne sont pas les femmes qui manquent, mais ce qui manque c’est la femme sérieuse, noble, consciente de sa mission. Hélas ! Je voudrais que celle que j’apprécie et j’admire à présent s’appelle… Suzy…

Laissez-moi serrer votre main, silencieusement, doucement. Je veux la presser sur mon cœur, sans mot dire… et vous regarder longuement. Il est certain cas où je sens la parole me faillir et où, lorsqu’on est près (et je suis si près !) le regard la remplace…

Vivaldi ! Si je le connais ? Il repose à Vienne. Si vous avez l’occasion d’écouter le 10e concert (en sol) de sa « LA CETRA », ne le manquez pas ! C’est vraiment remarquable.

Dans un siècle de décadence comme le nôtre, il est rare de trouver une âme qui s’arrache à ce déclin abrutissant. La musique moderne n’a pas le droit de se dire : musique. Kakophonie serait un mot qui lui sied mieux. Quand j’ai dû entendre dans ma Vienne ces hurlements qui déchirent l’oreille ! Rrrr ! Et l’on applaudit, et l’on s’y plait.

Mon cher Beethoven, Schumann, Schubert, Bruckner, Mahler, Wolf, Mozart et tant d’autres, qui étaient la gloire (on dirait : immortelle ?) de Vienne ! Qu’on les laisse tranquillement dormir, qu’on ne les blasphème pas !

Je suis, comme [on] dit, un grand ami des bêtes et pour cette raison, je ne puis être chasseur. Je considère la chasse comme un crime… au risque de me rendre « ridicule » ; c’est mon credo et je ne l’abandonnerai pas !

Je voulais vous écrire sur mon activité et mes origines, mais je m’excuse, Suzanne, si je ne puis le faire aujourd’hui. Je le ferai dans ma prochaine. Êtes-vous depuis longtemps à Nice ? Sans doute depuis la guerre. Ma famille était venue en France en 1924. Nous avons résidé en Angleterre et en Suisse quelques temps. Mais je vous en parlerai dans ma lettre de demain.

Ma main dans la vôtre.
Un regard.
Lou

P.S. Bien sûr. Lou ! Je vous apelle bien Suzy ! Mais je ne vous appelle pas « chère Suzanne », parce que vous m’êtes plus chère que ce mot !

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