Paris le 29 décembre 1964

Ma chère petite Suzanne

Vous m’avez véritablement par trop comblé avec cette magnifique boite de délicieuses cerises à l’eau de vie enveloppées de chocolat !

J’ai été tout à fait confus en la recevant, regrettant une fois de plus que vous fassiez de telles dépenses pour moi. Je vous en remercie, croyez-le, de tout mon cœur.

De mon côté, je vous adresse 3 petites effigies à l’image napoléonienne, pour faire de petits achats que vous effectuerez en mon nom.

Et maintenant, j’en arrive au problème crucial de ma lettre. Mon long silence a dû vous paraitre étrange, bien que je sois souvent dans ma correspondance un peu à éclipse.

Cette fois, mon mutisme a droit à des circonstances plus qu’atténuantes, comme vous pourrez en juger.

J’ai subi, en effet, ces temps-ci une succession de déboires qui m’ont mis tout à fait à bas.

D’abord, j’ai raté une marche de mon escalier et j’ai fait une chute sérieuse dont il est résulté une fracture de la jambe et une plaie au front qui heureusement n’a pas provoqué de lésion au cerveau.

Mais pour ce qui est de ma jambe, j’ai dû passer plusieurs semaines à l’hôpital pendant lesquelles les os ont pu heureusement se recoller.

Ayant repris mon équilibre, j’espérais en être quitte avec le mauvais sort. Mais hélas ! pas du tout. Les malheurs dans la vie arrivent souvent en avalanche. Je me suis mis, en effet, ces temps-ci à souffrir de violentes et persistantes douleurs abdominales. Je suis alors allé voir un médecin qui m’a dirigé vers un chirurgien.

Celui-ci, après m’avoir examiné minutieusement, a diagnostiqué une double hernie, ce qui nécessitera une double opération.

J’ai dû attendre plusieurs jours avant de savoir quand il y aurait de la place dans une clinique pour me recevoir… c’est ce qui a retardé l’envoi de cette lettre, car je tenais à vous informer plus complètement à mon sujet.

Enfin maintenant je suis fixé. J’entre en clinique (Clinique du Louvre, 17 rue des Prêtres Saint Germain l’Auxerrois, Paris Ier) le lundi 3 janvier et je dois être opéré le 5 janvier.

Comment cela tournera-t-il ? A mon âge, tout est à craindre et je ne me fais pas trop d’illusions.

Si donc, chère Suzanne, je devais trépasser à la suite de cette opération et si à ce moment-là je conservais encore ma lucidité, croyez bien que ma dernière et suprême pensée sera pour vous, car à ce moment-là mon esprit sera environné par tous les chers et anciens souvenirs nous unissant.

Je suis désolé de vous adresser cette lettre si peu réconfortante alors que je me faisais une fête de venir vers le début de 65 jusqu’à Nice pour vous revoir. Je souhaite de tout mon cœur que mon existence puisse se prolonger un peu pour pouvoir mettre ce projet à exécution.

Avec tous mes meilleurs vœux pour que 1965 vous soit favorable, je vous embrasse chère Suzanne, bien tendrement.

Henry

P.S. J’ai été bien heureux de recevoir votre photo de Plombières dont je vous remercie infiniment. Je constate avec plaisir que vous êtes toujours aussi charmante et que vous ne changez pas avec le temps. Je m’en suis assuré en contemplant votre image avec une autre de 1944. Vous êtes toujours exactement la même à 20 ans de distance. Cela tient du prodige ! ou du miracle !

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